87. Étonnante Turquie

La Turquie n’a pas très bonne réputation en occident. Combien de personnes nous ont dit “vous êtes vraiment sûrs de vouloir y aller, ça craint, faites attention, n’y restez pas trop longtemps”, et ce avant même que l’armée turque ne lance ses opérations en Syrie le 9 octobre. Nous-même avions un peu d’appréhension avant de quitter Istanbul et de nous engager sur les routes vers l’Est. Depuis, nous y avons passé 3 semaines et parcouru près de 5 000 kilomètres sur tous types de routes, et nous nous sommes fait une petite idée.
Alors sans prétendre connaitre ce pays très complexe, nous vous livrons notre témoignage, nos observations, nos impressions, sans jugement.

L’hospitalité des turcs

Sur les 27 pays que nous avons traversés depuis le début de notre voyage, c’est la Turquie qui se démarque le plus par son hospitalité, et de loin. Vous avez dû vous en rendre compte au fil des dix articles que nous avons écrits, et nous gardons en tête d’innombrables exemples. Cela a d’ailleurs continué en Grèce où nous sommes tombés sur quatre motards turcs à une terrasse de café, avec qui nous avons passé un très bon moment (et qui ont tenu à nous offrir le café bien sûr !). C’est sans doute ce que nous retiendrons le plus de ce séjour en Turquie.

La religion

L’islam bien sûr, omniprésent et assez intrusif.
Le signe le plus visible, ce sont les innombrables minarets que l’on voit de loin dans les villes et les villages. Ce sont autant de mosquées, en général des bâtiments très cossus, même dans les quartiers ou régions très pauvres.
Tout aussi visible, ou plutôt audible: l’adhan, l’appel à la prière répété cinq fois dans la journée (le premier est à 05h50 en octobre !). Impossible d’y échapper car il est déclamé par les haut-parleurs installés sur les minarets, mais aussi sur les poteaux électriques ou tout autres points élevés dans les zones trop éloignées des mosquées. Pendant l’adhan, les cafés baissent voire coupent la musique d’ambiance. A noter que avant l’adhan, des messages plus personnels peuvent être déclamés par exemple à la demande de familles pour leurs défunts.
Signe moins visible, sauf pour nous motards en quête d’une bière fraîche après 6 heures de moto par plus de 30°C: aucun alcool en vente dans les cafés ou restaurants dans les quartiers ou villes les plus stricts.
Tout cela peut donner le sentiment d’une société rigide, refermée sur elle-même et sa religion, mais ce n’est pas ce que nous avons ressenti. Nous avons plutôt vu une grande diversité, y compris dans les régions du Sud-Est ou pourtant la pratique de l’islam semble plus stricte. Le meilleur exemple est le port du voile: que ce soit à Istanbul, ville internationale, ou à Gaziantep, très musulmane, la plupart des femmes portent un simple foulard, voire pas de foulard du tout, et peu de femmes finalement sont complètement voilées. Les turcs vous invitent naturellement à visiter leurs mosquées, et ils vivent manifestement leur religion très paisiblement.
Donc contrairement à ce que nous craignions, nous n’avons pas trouvé l’ambiance religieuse pesante.
Mais pour autant, nous ne devons pas oublier que la Turquie de Atatürk a chassé hors de ses frontières les chrétiens orthodoxes (1,6 millions tout de même, voir notre article “Côte Sud”) au début du XXe siècle, et que de nos jours, les églises et synagogues en activités sont rares. Cela semble tellement contradictoire avec l’hospitalité turque ! Et la question que du coup nous nous posons: la Turquie serait-elle prête aujourd’hui à accueillir des non musulmans et les laisser pratiquer leur religion ouvertement ?

Jeunesse turque dans un café branché. Sans le drapeau turc, on se croirait en Italie

Police de la route, gendarmes, militaires, etc …

Dans aucun pays nous n’avons vu autant de contrôles de police de la route et de gendarmerie. En trois semaines, nous avons vu des dizaines de points de contrôle, et été contrôlés une bonne douzaine de fois (dont une pour excès de vitesse avec amende à la clef …). Aux points de contrôles, il y a souvent quelques militaires en renfort, prêts à intervenir l’arme au point, et un ou deux blindés (et oui, des blindés !). Mais malgré cette importante présence policière, les turcs conduisent vraiment très mal et très vite !
Comme on pouvait s’y attendre, ces contrôles s’intensifient en zone kurde et dans la bande de cent kilomètres qui longe la frontière syrienne, et ce sont de vrais barrages routiers avec chicanes entre des blocs de béton, herses, blindés, etc … Nous y avons vu également de plus en plus de casernes ou cantonnements fortement protégés par des murs en béton.
On peut comprendre ce déploiement de force: la situation de la Turquie est particulièrement délicate, elle est une passerelle entre l’Orient et l’Occident, avec des frontières avec la Syrie et l’Irak en guerre. Il y a plus de 3,6 millions de réfugiés sur le sol turc, et combien en transit ? A cela s’ajoute le risque terroriste avec le PKK et les djihadistes. Il est donc normal que la Turquie prenne ses précautions, et nous n’avons vu aucun turc critiquer cette état de fait. Nous avons vu au contraire des gens plutôt insouciants et en apparence heureux de vivre.
Pour notre part, nous n’avons jamais eu de difficultés aux check-points, nous avons toujours été contrôlés avec le sourire, et beaucoup de curiosité pour notre voyage et notre moto. Les rares routards étrangers que nous avons croisés nous ont dit la même chose.

L’insécurité

Toute la Turquie est classée a minima en jaune “vigilance renforcée” par notre ministère des affaires étrangères. Mais c’est un pays dans lequel on peut laisser sans crainte sa moto avec les sacs sanglés dessus devant son hôtel pour la nuit. Beaucoup de commerces ne protègent pas leur mobilier et leurs marchandises quand ils sont fermés. La délinquance semble faible et nous n’avons jamais eu de sentiment d’insécurité pendant notre séjour. Peut-on en dire autant de notre beau pays ?

Le nationalisme turc

Il est réel, et soigneusement entretenu par le pouvoir en place. On voit par exemple partout, sur toutes les hauteurs (monuments, collines, falaises) d’immenses drapeaux turcs. Et ne parlons pas des médias que l’objectivité ne tue pas … Résultat, une grande majorité de turcs soutiennent les opérations militaires en Syrie, même si près de 50% des turcs n’apprécient pas franchement leur chef d’état.

Immense drapeau au-dessus de la rue principale de Mardin, en région kurde

La situation des kurdes

Difficile à comprendre pour nous… La communication turque officielle ressasse le risque terroriste, et justifie ainsi cette “occupation” militaire de la zone kurde, et l’intervention de la Turquie en Syrie le 9 octobre pour créer en Syrie un couloir de sécurité de 30 kilomètres de large tout le long de la frontière. Nous n’avons pas senti de tension particulière dans la zone kurde de Turquie, les gens paraissent y vivre normalement, même si nous avons quand même entendu des critiques sur la politique actuelle qui serait très défavorable aux kurdes (mais impossible à vérifier).

Communication

Elle est sous le contrôle du pouvoir en place, et la censure est réelle. A titre d’exemple, le site booking.com est inaccessible en Turquie (pour une histoire de taxes). De même, Wikipedia est censuré à cause de son article qui critique Atatürk (mais le site est accessible en passant par Wikizeroo !)

Développement

La Turquie est un immense chantier: construction de centaines de kilomètres d’autoroutes, amélioration du réseau secondaire, construction de milliers de logements autour des grandes villes comme Gaziantep par exemple.

Des kilomètres d’autoroutes flambant neuves
Des milliers de logements construits autour de Gaziantep

Alors, la Turquie ?

Que penser de tout cela ? Au moins une chose: la Turquie est bien différente de ce que nous croyons savoir grâce à nos médias occidenatux. Elle est très complexe, et sûrement pas aussi négative que l’image qu’elle véhicule en France. De même, l’action du pouvoir en place est bien sûr critiquable (le mot est peut-être faible), notamment sur le sujet syrien et kurde, mais tout n’est pas négatif: la Turquie est stable, ce qui n’est pas simple, et elle se développe.
Alors nous rentrons au pays avec une autre idée de la Turquie, et nous vous encourageons à aller voir sur place vous faire la vôtre, vraiment !

Cette fois-ci, c’est fini, nous quittons la Turquie après onze articles tout de même, c’est dire si cela nous a plu. Et nous passons en Grèce profiter des petits villages de bord de mer, l’eau y est parait-il à 22°C au moins, alors dépêchons-nous !

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